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Démarche artistique

La pratique d’Yvonne Calsou est plurielle : dessin, photographie, vidéo, son, installation. Elle est souvent basée sur une économie de moyens et le détournement de matériaux pauvres. Son geste artistique cherche à faire apparaitre la forme par l’effacement ou le retrait de matière.
De scientifique, elle est devenue artiste et ce n‘est plus uniquement par une recherche de connaissances mais aussi par une approche sensible qu’ elle explore le monde et sa «transformation silencieuse» pour reprendre les mots du philosophe François Jullien.
Depuis 2018, elle est basée aux ateliers du 27, Lieu Commun Artist Run Space, Toulouse.

Temps & Espace

Si Yvonne Calsou s’intéresse à la notion du temps, elle travaille non pas sur le temps, mais avec lui. Ses projets impliquent autant la régularité, la patience que la capacité d’accueillir l’imprévu. Dans certains, la temporalité de réalisation mise sur un futur qui interroge le devenir des formes et celui, incertain, d’une Nature changeante. Le plus souvent elle propose des dispositifs in-situ qui intéragissent avec le lieu et qui s’appréhendent différemment en fonction du temps en mouvement.
Depuis peu, elle cherche à intervenir aussi sur des lieux insolites (friches urbaines, ruines, fermes…) afin d’introduire dans son travail un trouble consécutif à ces lieux non dédiés à la diffusion de l’art. Plus que d’y produire de nouveaux objets, à partir de gestes très simples, ses interventions s’inscrivent quasiment silencieusement dans l’espace.

 

Textes critiques d’art

 

Entretien avec Art Talk Write, mars 2021.

ATW : Tout d’abord Yvonne, veuillez nous dire ce que le temps et l’espace signifient pour vous ?

YC : Le temps et l’espace sont des notions qui sont intimement liées pour moi : Ce qui m’intéresse dans le temps, c’est l’impossibilité que l’on a de le définir vraiment, de le saisir ou de restituer une perception exacte de son expérience. Soit on le fige, soit on le découpe, soit on le symbolise, soit on essaye d’en montrer les effets. Quant à l’espace, c’est le milieu où je vis, où je suis dans l’instant. Mais c’est aussi l’espace avec lequel je vais jouer pour questionner cette notion du temps et dans lequel j’y inscrirai l’œuvre…

ATW : Pourquoi avez-vous été amenée à utiliser le temps et l’espace comme thèmes sous-jacents de votre pratique ?YC : Cette fascination pour ces thèmes est liée à mon enfance où très tôt j’ai compris les méfaits du temps et la fragilité des choses. J’ai vécu à la campagne dans un lieu chargé de plus de 2 siècles d’histoire familiale. Élevée dans le culte du passé, j’en percevais toutefois les drames et, à travers certains indices, l’annonce d’une certaine déchéance sociale. Hantée par ce passé nostalgique, je me suis construite une représentation romantique du monde. A l’opposé, et paradoxalement, le lien étroit tissé avec la nature environnante m’a fait découvrir la puissance de la vie animale et végétale, l’éternel recommencement des saisons, et des cycles de vie. Dans cet environnement naturel, j’ai ressenti l’importance du moment vécu ; saisir une lumière, une ombre ou tout micro-événement lié au lent rythme de l’évolution de la nature. Et maintenant je questionne cette mise en tension des perceptions du temps présent dans des lieux porteurs de mémoire. Ou, pour reprendre ce qu’écrit Joël Baqué dans La mer, c’est rien du tout (2016), j’interroge comment le passé fait scintiller le présent.

ATW : Pouvez-vous expliquer comment vous utilisez le temps et l’espace dans votre pratique comme « matériel » ? Et comment cela influence-t-il votre choix de supports ?

YC : Je cherche à jouer avec les différentes facettes du terme « temps ». En fonction des projets, je peux m’intéresser à la mémoire, à la fugacité de l’instant ou à l’éphémère. Parfois je traite ensemble toutes ces dimensions en me servant de la référence au cycle des saisons. Souvent, plus qu’un matériau ou un thème, le temps fait partie du processus de création. Le choix du support se fait selon le lieu où je suis, et ce que j’y vis. Cela peut-être une vitre, un mur, du papier, des tissus, le sol, etc… Le médium s’impose de lui-même en fonction du projet. La photo permet de saisir l’instant, le son donne à percevoir un écoulement, une durée (contrairement aux images filmées, on ne peut faire d’arrêt sur son). Pour dessiner, j’utilise des matériaux non pérennes avec des gestes créatifs qui évoquent eux aussi la fragilité des choses : effacer, retirer, percer, décolorer. Je convoque aussi la lumière pour produire des dessins fugaces qui évolueront dans l’espace.

ATW : Comment l’année 2020 où notre conception du temps et de l’ espace a considérablement changé a-t-elle affecté votre perception et votre relation à ces thèmes ?

YC : Avec l’année 2020, c’est dans mon quotidien que j’ai été confrontée de manière radicale à ces notions d’espace et de temps. Tous mes projets s’annulaient les uns après les autres et le flou sur une éventuelle reprise m’a obligée à vivre et à créer dans l’immédiateté de l’instant sans me projeter dans un quelconque avenir. Juste créer. Mais dans cet espace-temps rétréci le plus dur a été ce sentiment d’être cloîtrée dans un lieu sans autre horizon que la maison d’en face ou de hauts murs.

ATW : Comment cela s’est-il répercuté sur votre pratique artistique ?

YC : J’ai du coup eu envie de transcender ce manque d’air et d’espace en cartographiant par perçage du papier un lieu-dit où j’aime aller, Sainte-Sigolène (voir photos ci-dessous). Le rythme régulier du perçage du papier faisant écho à celui des pas arpentant le territoire. J’ai aussi repris d’anciennes pistes mises de côté : regarder par la fenêtre le temps évoluer au fil d’une journée ou restituer la transformation du jardin avec l’arrivée du printemps (voir la série Et par la fenêtre, regarder l’écoulement du temps : https://vimeo.com/399494054).

ATW : Vous intégrez à la fois des environnements naturels et des espaces urbains dans votre travail. Comment choisissez-vous les sites où vous intervenez ou à partir desquels vous créez un projet ?

YC : Que cela soit en ville ou à la campagne, je recherche pour mes interventions des lieux en transitions en attente d’un nouveau destin ou fraîchement rénovés pour un changement de destination. Le site idéal est celui où je peux exploiter des artefacts du passé, réactiver une mémoire tout en donnant à percevoir et ressentir l’écoulement du temps. Je cherche aussi des lieux offrant la possibilité que l’œuvre ou une partie de l’œuvre soit visible depuis l’espace public. Cela permet ainsi de provoquer une surprise, d’interpeler les passants dans leur quotidien. Les titiller dans leur rapport au monde de manière poétique par une lumière insolite, une ombre inhabituelle, un dessin qui ne devrait pas être là.

ATW : Avez-vous une anecdote intéressante à partager sur un lieu à laquelle vous feriez référence dans un projet spécifique ?

YC : Je pense au projet au long court Depuis la 5ème fenêtre, 3ème étage, côté Empalot (2010-2020) réalisé à la Maison des associations à Toulouse (voir le diaporama ci-dessous). L’histoire de ce projet illustre bien comment la création se nourrit des hasards et des contretemps. Il y a 10 ans, j’avais décidé de documenter l’apparition d’un nouveau quartier sur la friche de l’ancienne caserne Niel à Toulouse. Je m’étais donné comme contrainte de photographier régulièrement depuis la même fenêtre l’évolution du paysage autour du platane resté au milieu de la friche. Mais très vite l’arbre a été coupé pour permettre des fouilles archéologiques. Après des hésitations j’ai continué. Une fois les fouilles finies, la friche a servi plusieurs années de lieu de stockage et de tri de résidus de terrassement. Ce n’est que 7 ans après le démarrage du projet que le chantier de construction a été lancé. Le terrain a été nettoyé. L’idée m’est venue d’en profiter pour créer le dessin in situ l’ombre (2017), hommage à l’arbre disparu (voir la photo sous le diaporama ci-dessous). Réalisé à la chaux, ce dessin de plus 40 m de long était visible depuis la fenêtre d’où je prenais les photos. Le réaliser m’a demandé une semaine. Tous les matins à mon arrivée, j’étais accueillie par des corneilles cherchant des graines sur la friche, me donnant ainsi l’illusion parfaite d’être dans un labour en plein centre-ville. Petit à petit, la végétation a repris ses droits, coquelicots et autres simples ont fleuri. Puis 6 mois après, il a été détruit par les bulldozers. Maintenant il y a 5 barres d’immeuble autour d’un jardin privatif.

ATW : Pour faire suite à cette idée, la restriction de nos mouvements en 2020 vous a-t-elle amenée à découvrir de nouveaux espaces ?

YC : Le 22 Novembre 2020, je devais investir un espace proposé à Toulouse par le Salon Reçoit*. Avec le deuxième confinement, je ne savais comment faire pour honorer cette invitation. J’ai décidé de me saisir de la visibilité que nous offre internet sans toutefois proposer une exposition virtuelle. Aussi j’ai créé une pièce sonore et visuelle, Au son des bois (https://vimeo.com/481731271). Elle est une brève suggestion de ce qu’aurait pu être ce 22. A travers l’évocation sonore du lieu et l’audio description d’une œuvre, il est proposé d’expérimenter un autre rapport à l’art. Rien n’est vraiment dévoilé et l’œuvre n’existe que par l’image mentale créée par le regardeur-écouteur. Cette vidéo a été été diffusée en live le jour dit sur les réseaux sociaux.
*Le Salon Reçoit est un atelier d’artiste à Toulouse qui, depuis 20 ans, organise un événement culturel (exposition, performance, conférence) tous les 22 du mois pour une soirée seulement (https://tousles22.co/).

ATW : Vous avez un atelier au Lieu Commun, Artist Run Space, à Toulouse. Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

YC : Je suis en train de développer un projet débuté en octobre 2020, nommé needle maps, qui reprend ce travail de cartographie de lieux où je ne puis plus être. Cette fois-ci il s’agit de lieux où j’ai grandi, enfant. Ce travail est basé sur la réappropriation de photographies prises par satellite. Cette métamorphose de l’image par le percement du papier cherche autant à donner à voir qu’à éprouver la matérialité texturée du territoire inaccessible.

ATW : Enfin, voulez-vous nous faire part de l’un de vos futurs projets ?

YC : Dans mes œuvres éphémères au blanc d’Espagne, telles que Uchronie (2020), la question de l’apparition et disparition de l’image (physique ou lumineuse) est récurrente. Je viens de remarquer qu’une fois les dessins au blanc d’Espagne effacés des vitres, ils réapparaissent sous l’effet de la vapeur, créant une sorte de réminiscence furtive et fantomatique de l’image disparue. Ce qui m’a donné l’idée d’une performance, Et des nuages, qui devrait avoir lieu à Toulouse, le 12 novembre 2021 lors de l’épisode 2 des XXIVe Rencontres Internationales Traverse.